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yonathan
12 février 2010

personne ne leur a jamais dit qu’ils avaient de la valeur

Vous trouverez ci-dessous des nouvelles et réflexions de notre confrère Oblat de St-François de Sales, Tom Hagan, depuis Port-Au-Prince. Tom Hagan a lancé et coordonne sur place depuis 15 ans  l’ONG « Men Ansam- Hands Together » (Mains Ensemble). En écrivant à Tom Roberts, rédacteur en chef de National Catholic Reporter, il nous évoque ce qui s’est passé le 12 janvier à 17h à Port-au-Prince.   (Merci à Stéphane R pous sa traduction !)

Cher Tom,
Désolé, ma première réponse n’est pas passée ! Mon installation ici, c’est un ordinateur portable à même le sol à côté d’un groupe éléctrogène très bruyant, et avec ce qui semble être un millier de jeunes qui veulent tous utiliser mon ordinateur. Je vais essayer de nouveau.

Cette semaine passée a été terrifiante.

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J’ai déjà vécu toute la violence à Cité Soleil dans les années passées : j’ai été pris dans des fusillades et ai eu des armes sur la tempe, j’ai vu des gens très proches de moi abattus ici, mais on ne peut comparer à l’horreur du tremblement de terre. Doug Campbell, qui me soutient depuis plus de 20 ans et est le directeur exécutif de Hands Together (aux USA), venait juste d’arriver. Nous préparions la rencontre du lendemain matin avec l’archevêque au sujet de la situation à Cité Soleil. Doug et moi étions assis en train de discuter quand le séisme a commencé. J’ai essayé d’aller sous une table qui était seulement à quelques pieds de moi mais le sol se déplaçait dans l’autre direction. Je me suis senti complètement désorienté et heureusement un des jeunes haïtiens est revenu dans la maison et s’est saisi de moi et de Doug. C’était presque l’obscurité totale, et je pouvais entendre hurler mais aussi chanter, ce qui me semblait bizarre, mais on m’a dit que les gens priaient. J’ai regardé les décombres de ce qui fut notre maison des volontaires, séminaristes et enfants des rues. Je saignais de la tête et j’avais un terrible mal au dos. Doug est revenu dans les décombres pour essayer de commencer à tirer les gens dehors, mais on a alors entendu hurler que le gaz fuyait et qu’il pouvait y avoir une explosion. Un des enfants de la rue, Makenson, qui avait été blessé par balle et est maintenant aveugle, et que j’ai littéralement trouvé dans la rue deux ans auparavant, criait vers moi sous les blocs et gravats mais nous ne pouvions accéder à lui. (Makenson sera finalement secouru). C’est alors que deux ex-membres de gang de Cité Soleil sont accourus vers moi et m’ont transporté chez les sœurs de Mère Térésa. Quand je m’en suis rendu compte, ils étaient déjà en train de traiter les blessés, ils m’ont bandé et je suis retourné en boitillant sur place. Nous avons veillé toute la nuit, et lentement nous avons pu sortir tout le monde sauf deux de nos 21 séminaristes (Rochelnor Registre et Innocent Lusson) qui vivaient avec moi dans la maison. Je me rappelle vivement cette nuit, revoyant des gens méchamment brûlés par les fils électriques qui étaient tombés partout. La nuit suivante, nous étions tous blottis dehors, nous attendant à de très fortes répliques. C’était très effrayant. La même nuit,  vers minuit, nous avons commencé à entendre hurler, et les gens hurlait qu’une vague de tsunami arrivait. Nous avons tous commencé à courir, et l’heure d’après, moi et des milliers de personnes, nous déplacions vers des zones plus élevées. Nous ne savions pas quoi croire. J’ai honte de dire que je suis toujours effrayé, mais maintenant je fais aussi l’expérience d’être très impressionné. Quand je vais dans Cité Soleil, maintenant je vois les huit écoles que nous avons construites (écoles qui sont totalement gratuites, et les seules écoles gratuites du genre dans le pays, avec plus de 9 000 enfants). Je marche au milieu de ce qui fut notre dispensaire, qui soigne 20 000 personnes – encore une fois le seul dispensaire gratuit dans la zone. Je vois ce qui fut des maisons que nous avons construites pour 150 familles, et les projets pour 800 personnes âgées. Je regarde la zone de la vaste cuisine où des personnes préparaient des repas chauds quotidiens pour plus de Il y a aussi le problème de la prison détruite, de laquelle plus de 4 500 hommes se sont libérés. Ils se sont tous échappés, et quelque part en moi, c’est heureux qu’il l’ait fait. Beaucoup d’entre eux n’auraient jamais dû y être. Je visitais la prison chaque semaine et il y avait quasiment 600 personnes dans une seule cellule commune et beaucoup d’entre eux n’ont jamais été confrontés à un juge. Malheureusement, certains d’entre eux sont psychopathes, et tous sont maintenant de retour à Cité Soleil. Je viens juste de dire quatre messes. Chaque fois que je termine, une autre foule vient me demander de célébrer des messes. C’est un réel réconfort pour moi, et plus que cela, je réalise que, moi, nous ne pouvons survivre que si nous nous mettons simplement entre les mains de Dieu. J’ai dû travailler dur pour en être convaincu. Tom, vous me demandez ce qu’il en est de l’Eglise. Et bien, le peuple ici a perdu un très saint homme (Mgr Joseph Serge Miot) et un très bon évêque, un qui me soutenait spécialement à Cité Soleil. C’était un bon ami, et il me manquera grandement. Mais l’Eglise survivra." C’est pendant des temps comme celui-là que je me sens très fier de mon Eglise. Où que vous alliez, vous verrez l’Eglise qui retrousse ses manches maintenant et aide les gens. Les Missionnaires de la Charité (sœurs de Mère Térésa) sont tout simplement étonnantes. Les gens ici ont une grande foi. Quand je vais à Cité Soleil maintenant, et j’y vais tous les jours, je vois peu de larmes. Les gens font preuve d’une résilience étonnante. Peut-être est-ce parce qu’ils ont peu de biens matériels et apparemment leur bonheur ne dépend pas des biens. La vue d’un coucher de soleil signifie plus pour eux que leurs biens. Ce qui me rend encore plus fier de mon Eglise est que le message que nous transmettons aux gens est qu’ils ont un prix énorme aux yeux de Dieu et qu’ils sont infiniment aimés et que ce terrible désastre n’est aucunement une punition de Dieu. J’ai récemment dit cela dans une homélie, et les gens se sont tous levés et ont commencé à applaudir et acclamer. J’ai dû demander au servant d’autel pourquoi ils applaudissaient (je pensais que j’avais dit quelque chose d’erroné car mon créole n’est pas très bon), et il m’a dit : « Père, personne ne leur a jamais dit qu’ils avaient de la valeur ». L’Eglise catholique survivra, et j’en suis sûr. Mais pour aussi longtemps que je suis ici, le moins j’en connais. Je ne peux réellement pas parler avec beaucoup d’autorité sur ce qui va se passer avec le gouvernement ou même quel est le meilleur moyen d’aider les gens. C’est pour moi un grand défi même vivant ici. Je pense fortement que nous pouvons faire beaucoup de mal avec les meilleures intentions du monde quand nous commençons à être des bienfaiteurs Même avec toute l’aide qui est en train d’arriver, nous devons aller lentement, et à chaque étape du chemin nous devons associer les Haïtiens aux prises de décisions. Durant ces jours très difficiles, je me suis surpris à aimer réellement ces gens. Ce sont les mêmes qui ont enduré les bateaux d’esclaves, un horrible système d’esclavage, et qui ont été les seuls à battre finalement Napoléon. Ils continuent à grandement souffrir mais ils ont une force qui est remarquable. Ils me rendent humble et je suis privilégié d’être avec eux.

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